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CAUSERIES DU LUNDI

aide, on le conçoit, à ce canevas si simple, mais, selon moi, trop simple. M. Brizeux a par trop l’affectation de la simplicité. Dans son récit, qu’il divise en chapitres, avec des titres distincts et plus longs que la chose, on ne trouve pas cette richesse, cette fertilité et cette suite de détails qu’il faudrait pour remplir le canevas, pour en couvrir la nudité. Les sentiments qui, dans leur ténuité, pourraient à la rigueur suffire s’ils étaient analysés et déduits, y sont présentés d’une manière brusque, elliptique ; les chansons, qui sont destinées à les traduire et à charmer les intervalles de l’absence, ne chantent pas assez : elles sont courtes et sèches ; elles sont déjà finies lorsqu’on croit que le poète n’a que commencé à préluder. Il semble toujours avoir peur d’en dire trop. Ce sont là les défauts d’une poésie distinguée, mais décidément trop étranglée, trop semée de sous-entendus et de prenez-y-garde. Malgré de jolis vers et des traits fins d’observation, on se demande où est le charme, l’entraînement, le courant du moins, la veine sinon la verve, quelque chose qui porte, qui prenne et qu’on retienne. Cela fait penser avec regret à Jasmm et à Goldsmith, à Françounette et au Vicaire de Wakefield.

Ou bien, si vous voulez braver la sécheresse et le terne des couleurs comme Crabbe, sondez alors l’âme humaine à fond, et ne reculez pas devant la réalité creusée des sentiments.

Ce que je préfère et ce que je choisis dans tout le volume de M. Brizeux, ce sont les deux petits tableaux du Chevreuil et du Bouvreuil, dans lesquels il est plus fidèle à ses tons primitifs. Le Chevreuil, il nous le peini d’un trait net et bien venu :

Dans un bois du canton pris dès son plus jeune âge.
Il était familier, bien qu’au fond tout sauvage :