Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, V, 3e éd.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
CAUSERIES DU LUNDI

sard et M. Émile Augier ont formé une sorte d’école où l’élégie grecque et latine est venue s’essayer et faire épisode au théâtre. M. Barthet, par son Moineau de Lesbie, y a réussi. Dans un genre plus uni et plus simple, j’aime aussi à noter une comédie en vers, les Familles (1851), de M. Ernest Serret ; un sentiment pur, un style correct, nous y rendent quelque chose d’un Colin d’Harleville rajeuni.

On n’a pas assez remarqué un poëme : Poussin et son Monument (1851), par M. Édouard Crémieu, ouvrage couronné aux Andelys, le jour de l’inauguration de la statue du Poussin. Dans ce poëme, il y a de la composition, du dessin, un ordre sévère, une division habile, une description poétiquement amenée des principaux tableaux du maître ; il y règne, d’un bout à l’autre, un sentiment élevé du sujet. On y voudrait, comme chez Poussin lui-même, un peu plus de diversité de ton, plus de coloris et de nuance, le charme en un mot : mais, dans l’application présente, cette gravité un peu uniforme de ton n’est pas une infidélité.

J’ai hâte d’arriver à une production sur laquelle je puisse m’arrêter un moment. M. Brizeux, auteur bien connu de Marie et des Bretons, vient de publier un nouveau recueil de vers qui a pour titre Primel et Nola (1852) : c’est le titre particulier d’une pièce que M. Brizeux a étendu à tout le volume. Au-dessous et en dehors des grands poètes du temps, de ceux qui ont exercé action et influence, M. Brizeux est un poëte d’élite et qui compte : c’est une nature individuelle très-fine et très-marquée. Il a publié, il y a vingt ans, le joli recueil de Marie, qui offrait quelques élégies douces, discrètes, et d’une qualité rare. Plus tard, il s’est appliqué, dans le poëme des Bretons, à tracer des tableaux de mœurs qui fissent revivre ce pays de Bretagne auquel il s’est presque exclusivement consacré. Quel-