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DE LA POÉSIE ET DES POÈTES

Manche, s’est plu à consacrer, une dernière fois, les souvenirs ressuscites de l’art gothique, les religions, les fidélités du passé, tout ce qui nous émouvait encore vers 1836 et faisait un culte, avant que l’orgie de l’école moderne eût prévalu.

Un savant, en qui l’érudition n’a rien étouffé, M. Ampère, a réuni, en 1850, à la suite de ses Esquisses de voyages, ses Heures de Poésie, où il a recueilli l’esprit même des choses diverses qu’il a étudiées, et quelques notes sensibles d’une âme délicate : on distingue surtout les stances sur le Nil, qui sont d’un beau et large sentiment[1].

Deux petits volumes modestes me sont venus de Bordeaux, les Hirondelles de Mussonville (1849), et le Glaneur de Mussonville (1850). Mussonville, c’est l’agréable maison de campagne du petit séminaire de Bordeaux. L’auteur, que je crois pouvoir nommer sans indiscrétion, et qui est M. l’abbé B.-R. Manceau, dans ses vers faciles, animés d’une douce gaieté et d’une piété riante, a quelque chose d’un Gresset resté au séminaire, et rappelle quelquefois aussi le ton de sentiment du poète catholique breton, M. Turquéty. À défaut de l’Hymette, il aspire à être l’abeille du Carmel. Ce sont des vers aimables et bien nés.

Un des plus vieux genres restaurés par l’école moderne, le Sonnet, a produit récemment des recueils dont on s’est occupé. M. Alfred de Martonne, fils d’un père connu par des études sur la littérature du moyen âge, et qui n’y est pas étranger lui-même, a publié, sous le titre d’Offrandes (1851), une cinquantaine de sonnets qui attestent le commerce des maîtres en ce genre.

  1. M. Ampère a, depuis, compromis à jamais sa réputation de poëte ou même de demi-poëte, en publiant son César, scènes historiques (1859), une œuvre malheureuse que de véritables amis l’auraient dû empêcher de faire imprimer.