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Iundi, 9 février 1852.



DE LA POÉSIE ET DES POËTES

EN 1852



La poésie ne meurt pas : il y a des printemps, des générations qui naissent, qui se succèdent et qui amènent chacune avec elles leurs fleurs, leurs amours et leurs chants. La difficulté, c’est que l’art préside à ces successions rapides et donne à ces productions d’une saison la vraie jeunesse et la durée. La grande affaire, c’est que les poètes de vingt ans ne se contentent pas de chanter entre eux et de se complaire, mais qu’ils puissent rendre le public attentif à leurs jeux qui deviennent des œuvres. Cette difficulté qu’éprouve la poésie à intéresser la société redouble quand, tous les trois ou quatre ans, agitée et remise en question, et comme soudainement retournée, cette société subit de véritables tremblements de terre : la plate-bande en est elle-même toute ravagée. Sans doute il y a lieu toujours à d’agréables distractions dans l’intervalle, à ce que j’appelle la poésie du diable, à celle du printemps et de la jeunesse ; mais les productions fortes, et qui pourraient marquer socialement, sont très-compromises dans leur germe. Pourtant ne nous inquiétons pas sur ce point outre mesure ; le jour où un grand poète naîtra, il saura se dénoncer lui-même et se faire