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probité, en ce pays d’embûches et de perfidies, l’exposa pourtant jusqu’à la fin à quelques tracasseries dont sa prudence et son calme, soutenus de l’estime de la reine mère, l’aidèrent à triompher. La religion prit de plus en plus d’empire dans cette âme toute faite pour l’accueillir et si naturellement ordonnée. Cette religion éclairée et soumise lui a dicté dans ses Mémoires quelques pages qu’on peut dire charmantes autant qu’elles sont solides et sensées, sur les querelles du temps, sur les disputes du Jansénisme et du Molinisme, auxquelles les femmes n’étaient pas les moins pressées de se mêler : « Il nous coûte si cher, dit-elle en se souvenant d’Eve, d’avoir voulu apprendre la science du bien et du mal, que nous devons demeurer d’accord qu’il vaut mieux les ignorer que de les apprendre, particulièrement à nous autres qu’on accuse d’être cause de tout le mal… Toutes les fois que les hommes parlent de Dieu sur les mystères cachés, je suis toujours étonnée de leur hardiesse, et je suis ravie de n’être pas obligée de savoir plus que mon Pater, mon Credo et les Commandements de Dieu. » Madame de Motteville suit exactement la ligne que Bossuet traçait en ces matières. Il faut lire toute cette page, que l’aimable auteur couronne par de très-beaux vers italiens qui montrent qu’en se soumettant, son esprit ne renonçait point à s’orner raisonnablement et à s’embellir. Cette personne rare, cette honnête femme de tant de jugement et d’esprit, mourut en décembre 1689, vers l’âge de soixante-huit ans. On ne peut l’apprécier à toute sa valeur qu’en l’accompagnant dans tout le cours de ses Mémoires, en la suivant dans son développement et sa continuité : des citations et une analyse ne sauraient donner qu’une bien imparfaite idée de cette lecture lente, pleine, tranquille et attachante.