Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crime habile, aisée et large de jeu, ses poussées de beaux vers dans la tirade, et comme ses éclairs dans la mêlée ; mais tout cet appareil et cette mise en scène ne sauraient imposer à ceux qui ont une fois connu ce que c’est que la poésie véritable. Elle n’a guère jamais été ici qu’en passant et en se jouant, comme dans un tournoi. Et, avec cela, cet homme de tant d’esprit qui s’intitule le vicomte de Launay aura beau faire, il y aura toujours en Mme de Girardin un certain type, un certain moule chevaleresque primitif qu’il ne parviendra pas à renverser. Elle aura jusque dans son époque la plus spirituelle et la plus consommée en connaissance du monde et en raillerie, elle aura, dis-je, de ces retours singuliers et impétueux de Jeanne d’Arc et d’amazone, qui ne seraient concevables que chez une muse restée naïve. Elle a, jusqu’en plein journal, des reprises de dithyrambe. Elle fera, par exemple, ces vers contre un certain vote de la Chambre des Députés (13 avril 1839), vote que je ne prétends point d’ailleurs approuver ; et elle a écrit en novembre 1848 ces autres fameux vers contre le général Cavaignac, où, le voulant exterminer et pourfendre, elle ne trouve rien de plus fort à lui appliquer dans sa colère, parce que le digne général a dormi une heure pendant une des nuits de juin, que ce dernier coup accablant :

Vive l’Endymion de la guerre civile !

Singulière injure, de la part d’une belle femme, que d’appeler un homme Endymion. C’était assurément la seule chance qu’ait eue dans sa vie le général Cavaignac d’être comparé au pasteur Endymion.

Mme de Girardin est cause que je me suis souvent posé ces deux problèmes embarrassants :

Comment, avec tant d’esprit et d’élégance, n’a-t-on