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CAUSERIES DU LUNDI.

assujettir tous à la peine sans distinguer les plus jeunes des plus âgés ? Doit-on pardonner à celui qui se repent ? ou est-il inutile de renoncer au christianisme, quand une fois on l’a embrassé ? Est-ce le nom seul que l’on punit en eux ? ou sont-ce les crimes attachés à ce non» ? » Parlant de ceux qu’il avait interrogés, et même de deux pauvres filles esclaves qu’il avait fait mettre à la question, il reconnaît qu’il n’a pu apercevoir en eux tous d’autre crime qu’une mauvaise superstition et une folie : « Ils assurent que toute leur faute ou leur erreur consiste en ceci, qu’ils s’assemblent à un jour marqué, avant le lever du soleil, et chantent tour à tour des vers à la louange du Christ, qu’ils regardent comme Dieu ; qu’ils s’engagent par serment non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol ni d’adultère, à ne point manquer à leur promesse, à ne point nier un dépôt ; qu’après cela ils ont coutume de se séparer, et ensuite de se rassembler pour manger en commun des mets innocents… » Pline et son oncle étaient des hommes humains, modérés, éclairés ; mais cette humanité des honnêtes gens d’alors était déjà devenue insuffisante pour la réformation du monde. Il fallait de plus héroïques remèdes : ce n’était pas trop de cette espèce de folie sainte qu’on appelle la charité. Pline la rencontre une fois sur son chemin ; il s’arrête un moment, mais il ne sait comment la nommer. Son oncle aussi avait oublié cette plante-là dans l’Encyclopédie si complète qu’il a donnée des choses de la nature. C’est ainsi qu’à certaines époques du monde la prudence et même la vertu des modérés et des sages se trouvent vaines, et le malade réclame je ne sais quels miracles ou quelles vertus nouvelles pour se sauver.