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CAUSERIES DU LUNDI.

l’homme né avec l’esprit le plus vigoureux est le dictateur César. Je ne parle pas ici de son courage, de sa fermeté, de cette hauteur de pensée capable d’embrasser tout ce qui est sous le ciel ; mais je parle d’une vigueur qui lui était propre, et d’une rapidité qui semblait de feu. » Et après quelques détails connus, il ajoute : « Il a livré cinquante batailles rangées, l’emportant seul sur M. Marcellus, qui en avait livré trente-neuf. Sans parler des victoires remportées dans les guerres civiles, 1,492,000 hommes ont péri dans les combats livrés par lui. Ce n’est pas que je lui compte à titre de gloire un tel méfait, fùt-il commis par nécessité, contre le genre humain : et il en est convenu lui-même, en ne donnant pas le chiffre du carnage des guerres civiles. » Ce sentiment moral et humain de Pline est digne de remarque ; il ne se lasse point de l’exprimer en maint endroit, mais nulle part plus admirablement que quand il parle de Sylla ; « Le seul homme qui jusqu’à présent se soit attribué le surnom d’Heureux est L. Sylla, sans doute pour l’avoir acheté par le sang des citoyens et la prise d’assaut de la patrie. Et quels furent ses titres à se dire heureux ? Est-ce parce qu’il put proscrire et égorger tant de milliers de Romains ? la détestable raison, et où l’avenir a plutôt vu un titre de malheur ! N’eurent-elles donc pas un meilleur sort ces victimes d’alors que nous plaignons aujourd’hui, tandis qu’il n’est personne qui n’exècre Sylla ? Et sa fin ne fut-elle pas plus cruelle que le malheur de tous ceux qu’il proscrivit, lui dont la chair se rongeait elle-même et enfantait son propre supplice ? » On sait l’affreuse maladie dont mourut Sylla. Et Pline nous apprend que, tandis que l’usage général à Rome était déjà de brûler les corps, la famille Cornélia, ainsi que quelques autres familles, avait conservé les rites anciens qui consistaient à les enterrer. Mais