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CAUSERIES DU LUNDI.

blaient parfois minutieuses et frivoles, de s’en aller demander à l’étude des herbes et des simplles je ne sais quelles recettes qu’il fallait laisser à Caton l’Ancien ? « Le monde raille les recherches auxquelles je me livre, disait-il, et tourne en ridicule mes travaux ; mais dans ce labeur, tout immense qu’il est, ce m’est une grande consolation encore de partager ce dédain avec la nature. »

Il y a du rhéteur dans Pline ; il ne faut ni le méconnaître ni l’exagérer. Quand, redescendant des sphères et des astres, et de la région orageuse des météores, il en vient à décrire la terre, il se livre à un lieu-commun véritable, exaltant, amplifiant les qualités et les mérites de cette surface du globe, subtilisant pour lui prêter plus de vertus qu’il n’est besoin. Il fait un petit tableau qui devait être très-beau à citer dans les écoles du temps, comme nous ferions d’une belle page descriptive de Bernardin de Saint-Pierre ou de Chateaubriand. Mais aussi, et tout comme chez eux, des idées morales s’y mêlent et relèvent vite ce qui a pu sembler de pure rhétorique. Comparant sur ce globe la chétive étendue de la terre par rapport à celle de l’Océan et des mers (disproportion qui semblera encore évidente aujourd’hui malgré la découverte des continents nouveaux), il nous montre avec ironie ce théâtre de notre gloire, de nos ambitions, de nos fureurs ; il dira presque comme a dit depuis le poëte Racan, qui, dans de beaux vers, nous transporte en idée avec le sage au haut de l’Olympe :

Il voit comme fourmis marcher nos légions
Dans ce petit amas de poussière et de boue,
Dont notre vanité fait tant de régions !

Pline a le sentiment de la misère et à la fois de la grandeur de l’homme, des contradictions qu’il croit y découvrir. « Rien de plus superbe que l’homme, dit-il, ou