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CAUSERIES DU LUNDI.

Richelieu ne fut pas plus heureux. Il y eut sous la Restauration un ministère libéral par excellence, le seul qui essaya l’impossible peut-être, mais qui le tenta en toute loyauté, le ministère Dessoles : M. de Chateaubriand n’eut de cesse qu’il n’eût réussi à le renverser. Ce qu’il voulait alors, c’était le gouvernement de la France par les royalistes purs, par ceux qui n’avaient trempé à aucun degré dans les régimes précédents, par ceux qui étaient tout à Dieu et au roi (et Dieu sait ce qu’on entendait alors sous cette formule ! ) :

« C’est à ceux-ci, s’écriait-il, qu’il appartient de diriger les affaires ; ils rendront meilleur tout ce qui leur sera confié ; les autres gâtent tout ce qu’ils touchent. Qu’on ne mette plus les honnêtes gens dans la dépendance des hommes qui les ont opprimés, mais qu’on donne les bons pour guides aux méchants : c’est l’ordre de la morale et de la justice. Confiez donc les premières places de l’État aux véritables amis de la monarchie légitime. Vous en faut-il un si grand nombre pour sauver la France ? Je n’en demande que sept par département : un évêque, un commandant, un préfet, un procureur du roi, un président de la Cour prévôtale, un commandant de gendarmerie, et un commandant de gardes nationales. Que ces sept hommes-là soient à Dieu et au roi, je réponds du reste…

« Quant à ces hommes capables, mais dont l’esprit est faussé par la Révolution, à ces hommes qui ne peuvent comprendre que le trône de saint Louis a besoin d’être soutenu par l’autel et environné des vieilles mœurs comme des vieilles traditions de la monarchie, qu’ils aillent cultiver leur champ. La France pourra les rappeler, quand leurs talents, lassés d’être inutiles, seront sincèrement convertis à la religion et à la légitimité. »


C’est dans la Monarchie selon la Charte qu’il énonçait ce programme exclusif et épuratoire. Quand nous lisons aujourd’hui cette Monarchie selon la Charte, nous sommes tentés d’y voir un traité constitutionnel libéral : ce serait une grande illusion et la preuve d’une extrême innocence. M. Dunoyer, dans un article du Censeur européen d’alors (t. 1er , page 230), en a jugé très-saine-