Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
545
CHATEAUBRIAND.

c’est le monde politique, c’est le gouvernement de la société et des autres hommes ; les poètes, quand ils ont épuisé leurs songes et leurs chimères, veulent bien y arriver et y condescendre, les uns comme M. de Lamartine avec plus de sérénité et de clémence, les autres comme M. de Chateaubriand avec plus d’irritation et d’amertume. Mais, dans tous les cas, c’est toujours parce que la jeunesse n’est plus là, que le poëte veut bien s’occuper de nous, de la terre et de la matière humaine gouvernable. L’aveu est précieux. Il reste à savoir si, quand on ressent si vivement le regret idéal du passé et de la jeunesse, on n’en a pas des retours, des revenez-y plus vifs qu’il ne faudrait, et qui dérangent à tout moment l’exacte prudence et l’attention qu’exigerait le maniement des grands intérêts humains. Il est fort à craindre en effet que quand on aborde la politique à ce point de vue, dans ces dispositions d’un génie désœuvré qui veut faire absolument quelque chose et se désennuyer en s’illustrant, on n’y cherche avant tout des émotions et des rôles.

M. de Chateaubriand fit véritablement explosion en politique au mois d’avril 1814, par sa fameuse brochure : De Buonaparte et des Bourbons. Il entra dans cette carrière nouvelle l’épée à la main comme un vainqueur forcené, et du premier jour il embrassa la Restauration, de toute sa haine contre le régime qui tombait. Ici commence pour M. de Chateaubriand une période de sa vie politique qu’on ne parviendra jamais à mettre en accord avec la seconde partie. Cette vie politique, depuis 1814, peut se diviser en trois temps : 1° du 30 mars 1814 au 6 juin 1824, la période royaliste pure ; 2° du 6 juin 1824, jour de son renvoi du ministère jusqu’à la chute de la Restauration, la période libérale en contradiction ouverte avec la première ; 3° la période de royalisme et