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PLINE LE NATURALISTE.

craintes, et qui, dans leurs courtes distractions, ne veulent pas du moins d’effort, je ne sais si tout l’art même suffirait. Les hommes pris en masse ne s’intéressent qu’à ce qui les touche, aux choses d’hier, à celles qui retentissent encore, aux grands noms qu’une gloire favorable n’a pas cessé de rendre présents. Le reste est matière d’étude, de curiosité solitaire, de projet lointain pour les années de la retraite et du repos, pour ces années qu’on ajourne toujours et qui ne viendront jamais ; mais dans le courant habituel, dans le torrent des intérêts et des idées, quand on n’a qu’un quart d’heure à donner çà et là aux Lettres proprement dites, on n’a pas le temps, en vérité, de venir prêter l’oreille à un ancien, pas plus que, dans une foule où tout nous pousse, il n’y a moyen de s’arrêter à converser avec un vieillard qui s’exprime avec majesté et lenteur.

Pourtant, Pline aujourd’hui m’a tenté. Parmi les anciens, les deux Pline sont restés des plus présents et des plus récents au souvenir. Ils sont venus à nous en se donnant la main, l’oncle et le neveu ; celui-ci nous a raconté, dès notre enfance, la mort mémorable de l’autre. On en sait assez d’eux pour en désirer davantage. Pline l’Ancien, dit le Naturaliste, vient d’être traduit complètement par M. Littré, et le traducteur excellent a de plus apprécié son auteur dans une Notice écrite, comme tout ce qui sort de la plume de M. Littré, avec hauteur de vues, indépendance et fermeté. C’est le cas de se former une idée juste du personnage célèbre qui nous est ainsi montré en pleine lumière.

Pline l’Ancien n’était pas tout à fait un naturaliste, comme on se le figurerait au premier abord d’après le titre et la renommée de son principal ouvrage : c’était un homme de guerre, un administrateur. Né sous Tibère, mort la même année que Titus, il avait traversé