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M. DE MALESHERBES

tenir Diderot en lui représentant que sa modération à l’avenir, son attention à éviter dans ce grand travail tout sujet légitime de plainte, lui pourrait valoir ce qu’on appelait alors les grâces du roi ; et il aurait voulu même qu’on lui en donnât quelque garantie à l’avance dans une lettre ministérielle :


« Si vous approuvez cette idée, disait-il en finissant, et que vous croyiez qu’on la puisse mettre à exécution, j’en parlerai, si vous le jugez à propos, à Mme de Pompadour, et je vous prierai ensuite de vouloir bien me guider dans les autres démarches nécessaires pour l’effectuer. »


Il n’y avait qu’un seul terrain sur lequel M. de Malesherbes eût chance de s’accorder avec Mme de Pompadour, c’était l’Encyclopédie.

On voit ici à nu quelle était la pensée bienveillante de Malesherbes à l’égard de cette grande entreprise, quand il s’en expliquait avec des hommes dont il était sûr et qui étaient philosophes comme lui. Quand il avait à la justifier et à la garantir auprès de la Cour dévote de la reine et du Dauphin, il était plus embarrassé et se voyait obligé de recourir à des adresses qui, de sa part, nous font sourire : « Si vous êtes admis aux comités dans lesquels on parle devant la reine de l’abus des mauvais livres, écrivait-il à un des amis qu’il avait de ce côté, je vous prie d’y faire observer que les Cacouacs (plaisanterie de Moreau contre les Encyclopédistes) ont porté un coup plus mortel à l’Encyclopédie qu’un Arrêt du Conseil dont l’effet eût été de faire expatrier un des éditeurs, qui aurait achevé son ouvrage en pays étranger. » C’est par ces subterfuges (je ne sais pas un autre mot) que Malesherbes essayait de désarmer et de tranquilliser la reine, qui répondait en riant « que l’on ne pouvait pas mieux défendre une mauvaise cause. » Mais, fran-