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BARNAVE.

nom de Barnave ; mais l’intermédiaire habituel était le chevalier de Jarjayes, dont la femme était de la maison de la Reine. Quand la Reine voulait faire à Barnave une communication quelconque, elle mettait un écrit cacheté dans la poche de Jarjayes, et celui-ci le transmettait à Barnave, lequel, après en avoir pris connaissance, le replaçait recacheté dans la poche du messager, de façon que la Reine pût le reprendre et le détruire. Le même procédé servait aux avis que Barnave voulait donner à la princesse ; même passage par ladite poche et même retour aux mains de Barnave. Il en résulte que Barnave pouvait dire, à la rigueur ou à peu près, devant le Tribunal révolutionnaire, qu’il n’avait jamais eu avec la Reine des relations directes, qu’il ne l’avait jamais vue, etc. D’ailleurs, les communications paraissent avoir été rédigées d’une façon telle, et tellement à la troisième personne, que ni l’un ni l’autre correspondant ne pouvaient en être fort compromis. La poche de Jarjayes était comme un bureau où chacun déposait sa réflexion, son impression personnelle, son monologue, sans avoir l’air de se douter qu’un autre que soi en pût prendre connaissance.

Il reste sans doute (à examiner les choses avec une précision mathématique) une certaine restriction, une certaine interprétation à donner au mot de Barnave devant le Tribunal révolutionnaire : Je n’ai jamais eu de correspondance avec le Château. Mais tel tribunal, telle déposition. »

Voilà l’explication la plus plausible, dans les termes mêmes où je la reçois ; et, malgré tout, le sentiment moral persiste à souffrir d’une dénégation si formelle de la part de Barnave.