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M. DE MALESHERBES

ritier d’un nom si beau, qu’il devait rendre plus beau par sa vie et sacré par sa mort, était né le 6 décembre 1721, Élevé chez les Jésuites de qui il ne prit que le goût des Lettres, initié à la jurisprudence auprès du célèbre conseiller janséniste l’abbé Pucelle de qui il ne prit que l’intégrité et la doctrine, il fut de bonne heure de son siècle par une certaine liberté d’esprit que ne connaissait point l’âge précédent, ou qui du moins n’y était point de droit commun. Issu de bonne race, il avait en lui des trésors de santé, de probité, de vigueur intellectuelle et morale, dont il usa sans cesse avec application et qu’il ne laissa point dissiper. Il se mit à l’étude à la fois dans tous les sens. Les premières fonctions qu’il exerça dans la magistrature (substitut du procureur-général, puis conseiller aux enquêtes) lui laissèrent du loisir pour s’occuper activement des lettres, des sciences, et particulièrement des sciences naturelles qu’il aimait passionnément. En agronomie, en botanique, il était mieux qu’un amateur, il fit ses preuves comme homme du métier. La nature ne lui avait point accordé les élégances ni les grâces de la jeunesse, non plus que l’envie de les acquérir ou d’y suppléer : c’était du temps de gagné pour les choses sérieuses. On raconte que le fameux maître de danse Marcel, si connu par la solennité de ses aphorismes, demanda un jour une audience à M. de Lamoignon père pour lui déclarer qu’il ne pouvait lui dissimuler en conscience que son fils ne danserait jamais bien et ne pourrait conséquemment faire son chemin ni dans la magistrature ni dans l’armée : « A la manière dont il marche, concluait-il, vous ne pouvez raisonnablement le placer que dans l’Église. » M. de Malesherbes se plaisait gaiement à raconter ce lamentable pronostic de Marcel.

M. de Lamoignon père ayant été nommé Chancelier