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CAUSERIES DU LUNDI.

personnes qui avaient su gagner les bonnes grâces de Louis XIV… »

Malgré tout, elle fut bien la maîtresse qui convenait à ce règne, la seule qui pût venir à bout d’en tirer parti dans le sens de l’opinion, la seule qui pût diminuer le désaccord criant entre le moins littéraire des rois et la plus littéraire des époques. Si l’abbé Galiani, dans une page curieuse, préférant hautement au siècle de Louis XIV le siècle de Louis XV, a pu dire de cet âge de l’esprit humain si fécond en résultats : « On ne rencontrera de longtemps nulle part un règne pareil, » Mme  de Pompadour y contribua certainement pour quelque chose. Cette gracieuse femme rajeunit la Cour, en y apportant la vivacité de ses goûts bien français, de ses goûts parisiens. Comme maîtresse et amie du Prince, comme protectrice des arts, son esprit se trouva tout à fait au niveau de son rôle et de son rang : comme politique, elle fléchit, elle fit mal, mais pas plus mal peut-être que toute autre favorite en sa place n’eût fait à cette époque, où manquait chez nous un véritable homme d’État.

Quand elle se vit mourir après dix-neuf années de règne, quand il lui fallut, à l’âge de quarante-deux ans, quitter ces palais, ces richesses, ces merveilles d’art amoncelées, ce pouvoir si envié, si disputé, mais qu’elle retint tout entier en ses mains jusqu’au dernier jour, elle ne dit point comme Mazarin avec soupir : « Il faut donc quitter tout cela ! » Elle envisagea la mort d’un œil ferme, et, comme le curé de la Madeleine était venu la visiter à Versailles et s’en retournait : « Attendez un moment. Monsieur le curé, lui dit-elle, nous nous en irons ensemble. »

Mme  de Pompadour peut être considérée comme la dernière en date des maîtresses de roi, dignes de ce