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CAUSERIES DU LUNDI.

venait : elle-même les voir à table et causer avec eux. »

Le secret des lettres était alors très-peu observé, et l’intendant des Postes venait régulièrement chaque semaine apporter au roi et à Mme de Pompadour les extraits qu’on en faisait. Quand le docteur Quesnay le voyait passer, il entrait en fureur sur cet infâme ministère comme il l’appelait, à tel point que l’écume lui venait à la bouche : « Je ne dînerais pas plus volontiers, disait-il, avec l’intendant des Postes qu’avec le bourreau. » Ces propos se tenaient dans l’appartement de la maîtresse du roi, et sans danger, et cela a duré vingt ans. M. de Marigni, frère de Mme de Pompadour, homme de mérite et digne de sa sœur par plus d’un bon côté, se contentait de dire : « C’est la probité qui s’exhale, et non la malveillance. »

Un jour, ce même M. de Marigni se trouvait dans l’appartement de Quesnay ; on parlait de M. de Choiseul :


« Ce n’est qu’un petit-maître, dit le docteur, et, s’il était plus joli, fait pour être un favori d’Henri III. » — Le marquis de Mirabeau entra (le père du grand tribun ) et M. de La Rivière. — « Ce royaume, dit Mirabeau, est bien mal ; il n’y a ni sentiments énergiques, ni argent pour les suppléer. » — « Il ne peut être régénéré dit La Rivière, que par une conquête comme à la Chine, ou par quelque grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront ! le peuple français n’y va pas de main morte. » Ces paroles me firent trembler, ajoute la bonne Mme du Hausset qui nous transmet le récit, et je m’empressai de sortir. M. de Marigni en fit de même, sans avoir l’air d’être affecté de ce qu’on disait. »


Rapprochez de ces paroles prophétiques celles qui échappaient à Louis XV lui-même au sujet des résistances du Parlement : « Les choses, comme elles sont, dureront autant que moi. » C’était là son bout du monde.

Mme de Pompadour a-t-elle contribué autant qu’on l’a dit a cette perte de la monarchie ? Elle n’y a pas nui