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CAUSERIES DU LUNDI.

l’amant de la marquise, mais cela est très-douteux. « Il la connaissait peu avant qu’elle eût été arrangée avec le roi. » C’est le cardinal de Brienne qui l’assure : j’aime à me couvrir de ces graves autorités en si délicate matière. Mais quand la chose eut été réglée comme affaire d’État et que le roi dut partir pour l’armée « sans avoir peut-être encore rien obtenu, » on songea à former la société intime de la marquise durant l’absence, et l’abbé de Bernis fut désigné. Il fut fidèle à sa mission ; il fit de jolis vers, tout en l’honneur de ce royal amour dont il était le confident et presque l’aumônier :

On avait dit que l’Enfant de Cythère
Près du Lignon avait perdu le jour ;
Mais je l’ai vu dans le bois solitaire
Où va rêver la jeune Pompadour.


Ce bois était sans doute la forêt de Sénart, témoin des premières entrevues. Bernis, fidèle au goût du temps, loin de trouver dans cet amour royal rien de répréhensible, nous le peint à l’avance comme un modèle de chasteté et de pudeur, et digne en tout de l’âge d’or[1]. L’aimable abbé, qui ne voit de crime que dans l’inconstance nous promet qu’il n’y en aura plus :

 
Tout va changer : les crimes d’un volage
Ne seront plus érigés en exploits ;
La Pudeur seule obtiendra notre hommage ;
L’Amour constant rentrera dans ses droits

  1. Parlant de Diane de Poitiers, la Pompadour de son temps, un poëte du xvie siècle, Olivier de Magny, disait :

     
    Partout où vous allez, et de jour et de nuit,
    La piété, la foi, et la vertu vous suit,
    La chasteté, l’honneur

    Ces poëtes ont une façon de prendre les choses, qui n’est qu’à eux.