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MADAME DE POMPADOUR.

de ses petits vers, c’est toute la poésie légère du temps ; c’est la prose, Marmontel dans ses Contes moraux, Montesquieu lui-même dans son Temple de Gnide. Le genre Pompadour assurément préexistait à la venue de la belle marquise, mais elle le résume en elle, elle le couronne et le personnifie.

Jeanne-Antoinette Poisson, née à Paris le 29 décembre 1721, sortait de cette riche bourgeoisie et de ce monde de finance qui s’était si fort poussé dans les dernières années de Louis XIV, et dans lequel il n’était pas rare de rencontrer un épicuréisme spirituel et somptueux : elle y apporta les élégances. On s’accorde à dire qu’elle eut dans sa jeunesse tous les talents et toutes les grâces. Son éducation avait été des plus soignées pour les arts d’agrément, et on lui avait tout appris, hormis la morale. « Je trouvai là, écrit quelque part le président Hénault à Mme du Deffand, une des plus jolies femmes que j’aie jamais vues ; c’est Mme d’Étioles. Elle sait la musique parfaitement, elle chante avec toute la gaieté et tout le goût possible, sait cent chansons, joue la comédie à Étioles, sur un théâtre aussi beau que celui de l’Opéra, où il y a des machines et des changements… » La voilà au vrai telle qu’elle était avant Louis XV. Fille d’une mère galante qu’entretenait un fermier-général, mariée comme provisoirement au neveu de ce dernier, il sembla de bonne heure que toute la famille, en la voyant si séduisante et si délicieuse, la destinât à mieux, et qu’on n’attendît plus que l’occasion et le moment. « C’est un morceau de roi…, » disait-on de toutes parts autour d’elle ; et la jeune femme avait fini par croire à cette destinée de maîtresse de roi comme à son étoile. Louis XV était alors dans le premier éclat de son émancipation tardive, et la nation, ne sachant plus depuis longtemps où se prendre, s’était mise à l’aimer éperdument.