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CAUSERIES DU LUNDI.

M. Villemain, dans son excellent Rapport de 1840, a indiqué les mérites et donné à deviner les lacunes, quand il a dit :


« L’histoire est toujours à faire ; et tout esprit distingué, en s’aidant lui-même du progrès d’idées qu’il adopte ou qu’il combat, découvre dans les événements racontés par d’autres des leçons et des vues nouvelles. Sans avoir épuisé la double tâche qu’il s’était proposée, la peinture d’une époque historique et d’un grand homme, M. Bazin a fait un ouvrage instructif et piquant. Si quelques événements n’offrent pas dans ses récits le pathétique terrible auquel s’attendait l’imagination du lecteur, on n’en doit pas moins apprécier la finesse impartiale de son esprit. Il explique plus qu’il ne peint, mais une pénétration ingénieuse éclaire tous ses récits : et dans l’art si difficile de l’histoire, l’étendue et la précision des recherches, l’intelligence exacte des grandes choses, et le talent d’écrire soutenu dans un long ouvrage, sont des qualités rares, dignes d’un succès durable. »


Les récits de M. Bazin, sans afficher de réflexions et sous un air d’impartialité indifférente, sont volontiers disposés de manière à donner, à qui sait les comprendre, le sentiment habituel et le mépris de la versatilité et de la sottise humaine. Les chapitres qui traitent de la chute, de l’assassinat du maréchal d’Ancre, et de la condamnation de sa veuve, sont, à les bien voir, des scènes d’une tragi-comédie amère. Le plaisir de M. Bazin, quand il rencontre un lieu-commun de haine ou de faveur populaire qui s’attache à de certains noms historiques célèbres (tels que ceux de Concini, de Sully, de Henri IV ou de tout autre), est de déranger ce lieu-commun, de le mettre à jour et de le réduire. Il aime à ne penser en rien comme le vulgaire, et son travers serait peut-être, quand il rencontre une opinion communément établie, de se jeter dans la contradiction. Mais, en général, il juge bien les hommes, rend hommage aux avisés et aux vraiment habiles, et donne