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M. BAZIN.

responsabilité et qu’il justifia. Il est permis de croire que, quand il s’adressait à l’époque assez peu étudiée de Louis XIII, avec le dessein de la poursuivre jusque sous la Fronde et de ne s’arrêter qu’à la mort de Mazarin, il était un peu conduit par le désir de contredire les idées communes, de faire justice de certaines préventions et de retourner du tout au tout certaines opinions consacrées. En un mot, je crois qu’en abordant l’histoire, il y entra encore avec un dessein d’ironie. C’était là une porte étroite ; mais, à peine introduit dans ce riche domaine, à peine en présence des sources, il agrandit sa vue et réagit contre sa propre humeur. Son esprit qui, dans l’appréciation des faits eux-mêmes, se retrouvait positif et excellent, rectifia ses propres impressions anticipées, ou du moins les astreignit aux règles du bon sens et de la justice. L’époque qu’il avait choisie était la moins propice aux grandes phrases et à ce qu’on nomme éloquence. L’historien de Richelieu devait avoir quelque chose de cette patience si lente et si tortueuse, par laquelle le grand ministre eut à subir tant de retards et à user tant d’ambitions subalternes avant de s’élever lui même au faîte et de triompher. L’historien de Mazarin avait besoin d’une patience au moins égale, pour se débrouiller et se dégager des intrigues, des éclats et des triomphes turbulents de la Fronde. M. Bazin était l’homme le plus propre à traverser sans ennui ces époques intermédiaires de l’histoire, et à en tirer un bon parti, un parti adroit et judicieux. Il ne craignait pas d’avoir à marquer dans sa narration, pour rester plus fidèle à la vérité, la langueur ou la complication des mouvements politiques ; ce jeu bizarre et entre-croisé des choses lui allait, et il prenait plaisir à nous en démêler la trame. Le danger avec lui était plutôt qu’il ne répondît pas toujours aux situations décisives avec grandeur.