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CAUSERIES DU LUNDI.

déjà de son grand travail historique ; il en détachait par avance quelques hors-d’œuvre, quelques tableaux en marqueterie comme on les aimait alors. Mais quand ces prétendus Mémoires parurent en 1830, la veine ouverte il y avait déjà dix ans, et où avaient fait trace des hommes d’esprit et de talent (MM. Trognon, Vitet, Mérimée), semblait épuisée : la chute de la Restauration allait décidément y couper court et l’ouvrage de M. Bazin fut peu remarqué. Ce roman, d’ailleurs, est froid ; le soi-disant Gascon manque tout à fait de verve gasconne ; c’est partout l’auteur qui parle, on le sent, et non son cadet. Il n’observe pas le style du temps. Enfin, les traits spirituels semés çà et là ne rachètent en rien l’artificiel et le factice du genre.

En un endroit du récit, on trouve un chapitre intitulé les Poètes : c’est un dîner supposé entre gens de Lettres et beaux-esprits du temps de Louis XIII ; le fameux poêle Théophile y préside. L’auteur met en tête une note qui le peint lui-même par un de ses travers : « Il nous a semblé convenable, dit-il, d’avertir le lecteur qu’il va se trouver avec des gens de Lettres. C’est une précaution que prend toujours en pareil cas un maître de maison qui sait son monde. » Cette note sent terriblement son grand seigneur d’autrefois. Un des faibles de M. Bazin était de ne point vouloir être homme de Lettres ; qu’était-il donc autre chose ? Je ne sais, d’ailleurs, pourquoi il a cru devoir prendre tant de précautions avec sa note. Ce chapitre n’a rien de trop vif ni de trop égayé, je vous assure. Ce n’est pas même une conversation, c’est un Cours de poésie française, un Cours froid et sans relief, assaisonné de force plaisanteries indirectes et d’allusions contre les romantiques du temps. On sent que l’auteur ne parle point de tout cela tanquam potestatem habens, comme dit l’Écriture, « en