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CAUSERIES DU LUNDI.

la Restauration, grand, bien fait de taille, d’une physionomie forte et fine, jouissant d’une position aisée et qui sentait l’indépendance, possédant, ce semble, toutes les conditions du bonheur, et pourtant ayant en lui un principe d’ironie et d’âcreté secrète que l’attrait piquant de son esprit ne recouvrait pas et ne faisait le plus souvent que mettre en saillie. Ses amis, ceux qui ont le plus droit de le juger, l’ont comparé à Duclos pour le tour d’observateur moraliste. C’est bien un moraliste, en effet, qui se propose à un certain jour un tableau plus vaste et plus grand, qui se dit qu’il est temps de sortir du genre, et qui, après s’être dûment préparé, s’élève jusqu’à l’histoire. Il y avait aussi du Chamfort en lui, mais tout cela plus raffiné, ou du moins plus rentré ; une partie de ses traits se retournait sur lui-même et ne sortait pas.

L’idée lui était venue d’écrire un roman, le Gil Blas révolutionnaire ; mais il n’avait rien de cette imagination qui crée les personnages ou qui anime les détails. Mieux averti par le goût du temps et par le sérieux de sa propre inclination, il médita de s’appliquer à loisir à une grande Étude d’histoire, et, en attendant, il fit de la politique. Il en fit là où un homme de son opinion le pouvait avec le plus de liberté et de sincérité, il entra à la Quotidienne sous M. Michaud.

Ce serait une peinture à faire que celle des journaux politiques de la Restauration, et surtout des trois principaux : le Journal des Débats, organe du royalisme selon Chateaubriand, et suivant celui-ci en toutes ses métamorphoses ; le Constitutionnel d’alors, centre du libéralisme pur ; et la Quotidienne. Celle-ci, bien que pure royaliste, se composait en grande partie de gens d’esprit, très-libres de convictions et très-désabusés. M. Michaud, homme fin, aimable, de plus en plus spiri-