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CAUSERIES DU LUNDI.

et de la célébrité, et comme en défiance de celle-ci ; qui était si goûté et si apprécié du nombre restreint de ceux qui l’approchaient, et si facilement ignoré des autres ? Il faut absolument que je fasse ce qu’il détestait le plus quand cela n’était pas à deux siècles au moins de distance, une biographie ou du moins quelque chose qui y ressemble, et qui rende quelque vie, quelque physionomie, à ce qui de soi seul parlerait peu.

Anaïs de Raucou naquit à Paris le 8 pluviôse an v (1797), ce qui nous reporte en plein Directoire. Une ordonnance royale, en date du 23 avril 1834, l’autorisa à ajouter à son nom celui de M. Bazin, son bienfaiteur, « et à s’appeler désormais Bazin de Raucou. » On l’avait toujours connu, d’ailleurs, sous ce premier nom. Mais il n’est pas douteux que l’importance excessive qu’il attacha à l’irrégularité que le Bulletin des Lois laisse entrevoir et que nous n’avons pas ici à démêler, n’ait influé beaucoup sur son naturel et ne donne la clef de plus d’une singularité, inexplicable autrement, dans son caractère. Quoi qu’il en soit de ce coin réservé, son père, riche avoué de la rue Vivienne, soigna son éducation ; l’enfant fut mis en pension chez M. Lepitre, où l’on faisait de bonnes études, et où l’on prenait en même temps je ne sais quel avant-goût de royalisme jusque sous l’Empire. Le jeune Bazin conçut de bonne heure l’aversion du régime qu’il voyait finir ; il était encore au collège, qu’il se permit un jour, m’assure-t-on, quelque espièglerie poétique qui courut, quelque Napoléone au petit pied, qui eut l’honneur d’inquiéter la police impériale. Cependant il faisait d’excellentes études au lycée Charlemagne, où M. Cousin, cet autre élève de la pension Lepitre, l’avait précédé avec éclat, et où les plus brillants élèves du temps se rassemblaient autour de la chaire de rhétorique qu’illustrait déjà le jeune Ville-