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CAUSERIES DU LUNDI.

mable enchanteur, n’avait-il donc pas reconnu, selon l’heureuse expression de M. de Lamartine,

Les nobles sentiments s’élevant de ces pages.
Comme autant de parfums des odorantes plages ?


N’avait-il pas respiré ce charme universel de pureté et comme de santé, ces courants d’air salubre qui y circulent, même à travers le conflit des passions humaines ? On sent d’abord le besoin d’aller s’y retremper, d’aller se jeter dans quelque lecture limpide et saine au sortir des Parents pauvres, — de se plonger dans quelque chant de Milton, in lucid streams, dans les purs et lucides courants, comme dit le poëte.

Il y aurait, dans un travail moins incomplet, et si l’on était libre de se donner carrière, à bien établir et à graduer les rapports vrais entre le talent de M. de Balzac et celui de ses plus célèbres contemporains, Mme Sand, Eugène Sue, Alexandre Dumas. En un tout autre genre, mais avec une vue de la nature humaine qui n’est pas plus en beau ni plus flattée, M. Mérimée pourrait se prendre comme opposition de ton et de manière, comme contraste.

M. Mérimée n’a peut-être pas une meilleure idée de la nature humaine que M. de Balzac, et, si quelqu’un a semblé la calomnier, ce n’est pas lui certes qui la réhabilitera. Mais c’est un homme de goût, de tact, de sens exact et rigoureux, qui, même dans l’excès de l’idée, garde la retenue et la discrétion de la manière ; qui a autant le sentiment personnel du ridicule que M. de Balzac l’avait peu, et en qui, au milieu de tout ce qu’on admire de netteté, de vigueur de trait et de précision de burin, on ne peut regretter qu’un peu de cette verve, dont l’autre avait trop. On dirait qu’en lui l’homme du monde