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M. DE BALZAC.

puleux, qui va loin, comme disait La Bruyère : un tel esprit en aurait le vertige pendant un mois. La Bruyère a dit encore qu’il n’y a pour toute pensée qu’une seule expression qui soit la bonne, et qu’il faut la trouver. M. de Balzac, en écrivant, semble ignorer ce mot de La Bruyère. Il a des suites d’expressions vives, inquiètes, capricieuses, jamais définitives, des expressions essayées et qui cherchent. Ses imprimeurs le savent bien ; en faisant imprimer ses livres, il remaniait, il refaisait sur chaque épreuve à n’en plus finir. Chez lui le moule même était dans un bouillonnement continuel, et le métal ne s’y fixait pas. Il avait trouvé la forme voulue, qu’il la cherchait encore.

La critique la plus cordiale, celle d’un ami, d’un camarade, comme il l’était de Louis Lambert, aurait-elle jamais pu lui faire accepter quelques idées de sobriété relative, et les lui introduire dans le torrent de son talent, pour qu’il le contînt et le réglât un peu ? Sans prétendre le détourner en rien de sa voie féconde, j’aurais voulu qu’il eût présents à l’esprit quelques axiomes que je crois essentiels en tout art, en toute littérature :

« La netteté est le vernis des maîtres. »

(Vauvenargues.)

« L’œuvre d’art ne doit exprimer que ce qui élève l’âme, la réjouit noblement, et rien de plus. Le sentiment de l’artiste ne doit porter que là-dessus, tout le reste est faux. »

(Bettine a la mère de Goethe.)

« Le bon sens et le génie sont de la même famille : l’esprit n’est qu’un collatéral. »

(Bonald.)

Enfin, lui, qui admirait tant Napoléon, et que ce grand exemple, transposé et réfléchi dans la littérature, éblouissait comme il en a ébloui tant d’autres, j’aurais voulu