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M. DE BALZAC.

presque tous magnifiquement placés dans ses œuvres. Il avait le goût, la passion désœuvrés de l’art, peinture, sculpture, antiques ameublements. Quand il était de loisir (et il trouvait souvent moyen de l’être, livrant ses journées à la fantaisie, consumant ses nuits au travail), il aimait à aller à la chasse de ce qu’il appelait les beaux morceaux. Il connaissait en fureteur tous les magasins de bric-à-brac de l’Europe, et il en discourait à merveille. Aussi, lorsque ensuite il plaçait dans un roman ces masses d’objets qui, chez d’autres, eussent ressemblé à des inventaires, c’était avec couleur et vie, c’était avec amour. Les meubles qu’il décrit ont quelque chose d’animé ; les tapisseries frémissent. Il décrit trop, mais le rayon tombe en général là où il faut. Même lorsque le résultat ne répond pas à l’attention qu’il a paru y donner, il en reste au lecteur l’impression d’avoir été ému. Balzac a le don de la couleur et des fouillis. Par là il a séduit les peintres, qui reconnaissaient en lui un des leurs transplanté et un peu fourvoyé dans la littérature.

Il appréciait peu la critique ; il avait fait sa trouée dans le monde presque malgré elle, et sa fougue n’était pas, je crois, de celles qui se peuvent modérer ni diriger. Il a dit quelque part d’un artiste sculpteur découragé et tombé dans la paresse : « Redevenu artiste in partibus, il avait beaucoup de succès dans les salons, il était consulté par beaucoup d’amateurs ; il passa critique comme tous les impuissants qui mentent à leurs débuts. » Ce dernier trait peut être vrai d’un artiste sculpteur ou peintre qui, au lieu de se mettre à l’œuvre, passe son temps à disserter et à raisonner ; mais, dans l’ordre de la pensée, cette parole de M. de Balzac, qui revient souvent sous la plume de toute une école de jeunes littérateurs, est à la fois (je leur en demande bien pardon) une injustice et une erreur. Pourtant, comme il est toujours très--