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CAUSERIES DU LUNDI.

restaurer dans toute sa pureté cet idéal, si compromis, du roi constitutidiinel inviolable et impeccable, que l’impétuosité de l’esprit français n’a jamais pu accepter ni se figurer, mais qu’il était honorable de lui offrir. Sur ce roi à demi déchu et si humilié, il essaie de jeter le manteau protecteur de la théorie et de la loi, et il le fit avec une largeur, une dignité, une chaleur de mouvement qui arracha des applaudissements presque unanimes C’est alors que, voulant montrer tout le danger qu’il y avait pour la liberté même à rendre la personne du monarque responsable à ce degré soit en mal, soit en bien, il s’écria : « A ceux qui s’exhalent avec une telle fureur contre l’individu qui a péché, je dirai : Vous seriez donc à ses pieds si vous étiez contents de lui ! »

Mirabeau avait dit un jour à Barnave, pour signifier que son talent d’orateur n’était pas du génie : « Il n’y a point de divinité en toi ! » Si Barnave a jamais donné un démenti au mot de Mirabeau, ce fut ce jour-là.

Dans la dernière partie de ce Discours, sortant du détail des récriminations, coupant court aux partis mitoyens et prenant les faits en masse, il envisageait l’avenir dans toute son étendue, il disait : « Tout changement est aujourd’hui fatal ; tout prolongement de la Révolution est aujourd’hui désastreux. La question, je la place ici, et c’est bien là qu’elle est marquée par l’intérêt national. Allons-nous terminer la Révolution ? allons-nous la recommencer ? » Ce discours, lu aujourd’hui, a quelque chose de prophétique ; la sensation du moment fut profonde ; Barnave eut cause gagnée dans l’Assemblée, mais la cause était déjà perdue au dehors.

Et ce ne fut pas seulement k la tribune qu’il devint désormais l’homme de la monarchie constitutionnelle ; il paraît certain que Barnave, après le retour de Varennes, accepta et entretint, d’une manière ou d’une autre, quel-