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L’ABBÉ GALIANI

vie y est d’une uniformité tuante. Que faire dans un pays où l’on ne dispute de rien, pas même de religion ? » Il s’y occupe pourtant, et avec plus de sérieux qu’il ne dit. Homme du roi, Conseiller-secrétaire du Commerce, il y juge ou fait juger des cas difficiles : il s’applique, dans les intervalles de sa charge, aux Lettres et à l’étude ; il reprend ses anciens écrits de jeunesse pour les revoir, les corriger, en donner des éditions nouvelles : « Ils sont tous en italien ; il y a des dissertations, des vers, de la prose, des recherches d’antiquités, des pensées détachées : cela est bien jeune en vérité, cependant c’est de moi. » Il laisse voir naïvement dans ces choses de l’esprit sa tendresse de père. Il s’applique aussi à des ouvrages nouveaux ; il pousse plus loin son étude sur Horace, qu’il avait déjà commenté avec un goût rare, aiguisé de paradoxe ; il pense à tirer de son poëte favori toute une philosophie morale. Il s’adonne, avec une passion qu’on aime à retrouver en lui, à son dialecte napolitain, dont il maintient la prééminence et l’antériorité sur les autres dialectes de l’Italie ; il le compare au dorique des Grecs. Parmi les poètes et écrivains célèbres en ce patois, on retrouverait, j’imagine, plus d’un type de Galiani resté à l’état pur et non taillé à la française. L’abbé, redevenu Napolitain, recommence, pour n’en pas perdre l’habitude, à se moquer des sots, des pédants littéraires du lieu, et, sous le titre du Socrate imaginaire, il bâtit une pièce, un opéra bouffon dont un autre fait les vers, et dont l’illustre Paisiello compose la musique ; la pièce fit fureur, et on crut devoir l’interdire. Au milieu de ces distractions d’esprit et des jeux avec sa chatte qui lui fournit mille sujets d’observations philosophiques et folâtres, Galiani remplit exactement ses devoirs d’homme public et ceux de chef de famille. Il a trois nièces dont il fait bon marché dans sa Correspondance (Mes nièces