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L’ABBÉ GALIANI

pas d’espiègleries que, durant cette polémique, le malicieux Napolitain n’adressât de loin à son patient et lent adversaire. Turgot, dont les principes étaient fort intéressés dans la question, s’est expliqué sur le livre de Galiani, et, sans en méconnaître l’agrément, il a écrit quelques mots qui marquent bien l’opposition des vues, des inspirations et des doctrines : « Je n’aime pas non plus, dit-il après quelques critiques sur sa méthode sautillante et faite pour dérouter, je n’aime pas à le voir toujours si prudent, si ennemi de l’enthousiasme, si fort d’accord avec tous les Ne quid nimis et avec tous ces gens qui jouissent du présent, et qui sont fort aises qu’on laisse aller le monde comme il va, parce qu’il va fort bien pour eux, gens qui, ayant leur lit bien fait, ne veulent pas qu’on le remue. » Turgot touchait à l’un des faibles du petit abbé mitré et à bénéfices. Ce qu’on sent trop d’ailleurs dans ces Dialogues, et ce que Galiani a pris soin plus tard de nous confirmer en toutes lettres, c’est que son Chevalier Zanobi, qui représente l’auteur, « ne croit ni ne pense un mot de tout ce qu’il dit ; qu’il est le plus grand sceptique et le plus grand académique du monde ; qu’il ne croit rien en rien, sur rien de rien. » Galiani définit son homme d’État « un homme qui a la clef du mystère, et qui sait que le tout se réduit à zéro. » Ici la plaisanterie est trop forte ; les marionnettes humaines, tant qu’on veut les bien mener, ne sauraient se traiter avec cette absence de ressort, et Turgot, même avec ses erreurs et ses gaucheries d’honnête homme et d’homme éclairé, qui se fie trop à son raisonnement, reprend sur Galiani tous ses avantages.

En tout, Galiani croyait à une doctrine secrète, à un fin mot que peu de gens sont appelés à pénétrer, et que de très-grands talents eux-mêmes ne soupçonnent pas. Il prétendait, selon sa façon demi-sérieuse, demi-bouf-