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CAUSERIES DU LUNDI.

fêtes de la Raison et autres déesses. Le peuple cependant ne faisait là que traduire le raisonnement des plus fins ; il le traduisait grossièrement, selon l’ordinaire des traducteurs, mais sans trop de contre-sens.

Galiani, dans cette dispute, a l’air de jouer le beau rôle ; il semble plaider en faveur de l’ordre et de l’Ordonnateur suprême, contre l’athéisme dogmatique et par trop brutal de ses amis : ne nous en faisons pourtant pas, d’après ce facétieux sermon, une trop édifiante idée. Il avait l’esprit trop fin, trop sensé, pour ne pas être choqué des théories absolues de d’Holbach : « Au fond, nous ne connaissons pas assez la nature, pensait-il, pour en former un système. » Il reprochait à ces prétendus systèmes de la nature de ruiner toutes les illusions naturelles et chères à l’homme ; et, comme le livre de d’Holbach parut vers le temps où l’abbé Terray décrétait la banqueroute, il disait : Ce M. Mirabaud (pseudonyme de d’Holbach) est un vrai abbé Terray de la métaphysique. Il fait des réductions, des suspensions, et cause la banqueroute du savoir, du plaisir et de l’esprit humain. »

En philosophie, le vrai système de l’abbé Galiani est celui-ci : il croit que l’homme, quand il n’a point l’esprit alambiqué par la métaphysique et par le trop de réflexion, vit dans l’illusion et est fait pour y vivre : « L’homme, nous dit-il, est fait pour jouir des effets sans pouvoir deviner les causes ; l’homme a cinq organes bâtis exprès pour lui indiquer le plaisir et la douleur ; il n’en a pas un seul pour lui marquer le vrai et le faux d’aucune chose. » Galiani ne croit donc pas à la vérité absolue pour l’homme, à la vérité digne de ce nom ; la vérité relative, qui n’est qu’une illusion d’optique, est la seule, selon lui, que l’homme doive chercher. Selon lui encore, il en est de l’illusion au moral comme au