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JEANNE D’ARC.

quait qu’elle ne s’en souciât et qu’elle allât néanmoins.

Cette idée aventureuse, qui tentait Jeanne, de s’en aller guerroyer en France, avait transpiré malgré elle, et déplaisait fort à son père, honnête homme et de bonnes mœurs, qui disait qu’avant d’être témoin d’une telle chose, il aimerait mieux voir sa fille noyée, ou la noyer de ses propres mains. La voix permit à Jeanne d’éluder cette défense, et, sous prétexte d’aller chez un oncle qui demeurait près de là, elle quitta le village natal, puis se fit conduire par cet oncle au capitaine Robert de Baudricourt qui commandait à Vaucouleurs. Robert la reçut d’abord très-mal et la rudoya : « Il fallait que son oncle, disait-il, la ramenât chez son père et lui donnât des soufflets. » Mais, sur l’insistance de la jeune fille, sur la netteté et la vigueur de son attitude et de son dire, et la voyant décidée à partir malgré tout, il finit par être vaincu. Jeanne s’était fait conduire sur ces entrefaites au duc de Lorraine, qui lui avait donné quelque argent. Les gens de Vaucouleurs eux-mêmes, mus d’intérêt pour elle, s’étaient mis en frais pour lui procurer un équipement. L’oncle et un autre habitant du lieu lui achetèrent un cheval ; Robert de Baudricourt voulut en rembourser le prix. Celui-ci, non sans avoir fait à la jeune fille quelques plaisanteries de soldat, la mit à cheval un jour en habit d’homme, et lui donna un sauf-conduit pour s’en aller à tout hasard vers le Dauphin : « Va, lui dit-il en la voyant partir, et advienne que pourra ! »

Jeanne partit donc et arriva sans encombre, après onze jours de voyage, jusqu’au Dauphin, qui était pour lors à Chinon (mars 1429). C’est ici que sa vie publique commence ; elle avait dix-sept ans. Après s’être fait reconnaître et agréer du roi, elle prend résolument le rôle que sa foi en Dieu et en cette voix qu’elle ne cessait d’entendre lui dictait ; elle dit à tous ce qui est à faire,