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CAUSERIES DU LUNDI.

la meilleure espérance. Et en littérature, par exemple, en ce qui avait trait à la lutte des deux écoles au théâtre :


« Eh bien ! nous osons le dire, s’écriait-il en faisant allusion aux idolâtries classiques qu’il ne voulait point voir remplacées par d’autres idolâtries, eh bien ! le temps de ces exagérations est déjà passé pour les Français ; nous osons le prédire, il y a, dans le bon sens général, tel que les controverses qui s’agitent depuis quinze ou vingt ans l’ont développé et préparé, un obstacle invincible à ce que ces adorations individuelles gagnent jamais du terrain, et deviennent des opinions communes et des doctrines reçues. On nous a tirés d’un extrême ; nous ne nous laisserons point jeter dans l’extrême opposé ; on nous a dégagés de mille et mille petites préventions ; nous ne nous laisserons point emmaillotter dans des préventions d’une autre nature. »


Ce qu’il disait là sur un point de la question, il le disait ou le pensait sur les autres points ; il estimait que l’art dramatique était en bonne voie. S’adressant aux amis du genre classique et à ceux du genre romantique, il posait avec un grand sens et avec une haute impartialité l’antagonisme et la concurrence légitime des deux genres ; il en présentait en quelque sorte la Charte, — hélas ! une Charte aussi vaine et aussi vite déchirée que l’autre.

Qu’il y a loin de ces nobles et vives dissertations, et des perspectives encourageantes qu’elles ouvraient, au tableau trop fidèle et hideux que traçait, cinq ans après, le même homme, chef du Gouvernement, au lendemain de l’attentat de Fieschi, quand, refoulant les sentiments d’une philanthropie trop prolongée, et demandant aux Chambres des lois répressives énergiques, il disait :


« Et notre théâtre, Messieurs !… Qu’est-ce maintenant que le théâtre en France ? Qui est-ce qui ose entrer dans une salle de spectacle, quand il ne connaît la pièce que de nom ? Notre théâtre