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CAUSERIES DU LUNDI.

glie est en général celui que Cicéron avait en vue, quand il disait : « On doit s’énoncer avec moins d’appareil dans les délibérations du Sénat, car on parle devant une assemblée de sages. » Sa parole était bien celle, en tout, qui convenait en présence de l’ancienne Chambre des pairs. M. de Broglie est un orateur de discussion. Il éclaire, il instruit, il élève plus qu’il n’émeut : Là même où ses sentiments sont en jeu et où il s’agit de questions qui lui tiennent à cœur, il s’adresse surtout à la raison. Improvisateur véritable, il ne parle jamais qu’autant qu’il a quelque chose à dire ; il intervient dans les discussions ardues pour les éclairer, pour y introduire des idées nouvelles, pour y proposer des moyens spéciaux de solution. Il parle avec clarté, avec déduction et suite, et, mieux que cela, avec élégance, avec une élégance qui ne serait pas naturelle chez un autre, qui chez lui ne semble pas cherchée, et qui est la forme précise de sa pensée. Esprit méthodique, son improvisation elle-même porte ce cachet de méthode et n’a rien du laisser-aller ni de l’abandon. Doué, je l’ai dit, d’une très-grande facilité accrue par l’étude, et d’une vaste mémoire, il lui suffit d’une très-courte préparation pour donner à sa parole improvisée tout l’air d’un discours médité ; il n’y paraît pas de différence. Sa pensée lui naît toute rédigée, dans cette forme rare, savante et assez imprévue, qui est la sienne.

Les dernières années de la Restauration furent un beau et heureux moment pour M. de Broglie. Ami sincère et dévoué du régime constitutionnel, aspirant à le voir réellement en vigueur dans notre pays, il ne désespérait pas que ce résultat se pût obtenir régulièrement et sans révolution. Le concert de l’opinion publique était rassurant alors : l’élite de la jeunesse semblait apporter chaque jour à ce qu’on appelait la bonne cause une