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LE SAGE.

fleurs les plus choisies. On descend de là, par un rang de degrés de chaque côté, dans un berceau. Ce double berceau conduit à deux chambres ou cabinets d’été tout au bout du jardin. Ils sont joints par une galerie ouverte dont le toit est supporté par de petites colonnes, de sorte que notre auteur peut aller de l’une à l’autre toujours à couvert dans les moments où il n’écrit pas. Les berceaux sont couverts de vigne et de chèvrefeuille, et l’intervalle qui les sépare est arrangé en manière de bosquet (grove-work). C’est dans le cabinet de droite, en descendant, qu’il a écrit Gil Blas, » ou du moins une partie de Gil Blas, car il est douteux que Le Sage ait occupé durant trente ans la même maison. Si l’imagination de l’auteur anglais n’a pas embelli les lieux, Le Sage avait trouvé dans son faubourg l’ermitage du poëte et du philosophe. La petite maison de la haute-ville de Boulogne, où il passa ses derniers jours, et que j’ai tant vue et regardée dans mon enfance, était certes moins riante et moins jolie. Voici de lui un mot que cite Spence et qui rentre bien dans la philosophie de Gil Blas : quelqu’un faisait de grands récits des doléances qu’on entend perpétuellement en Angleterre, en dépit de tous les droits et des avantages dont on jouit : « Certainement, dit Le Sage, le peuple anglais est le plus malheureux peuple de la terre, avec la liberté, la propriété, et trois repas par jour. »