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CAUSERIES DU LUNDI.

ment égrillarde ; c’est la chose légère, le rien mutin et libertin dans toute sa grâce. Le Petit Homme gris, de même, est très-joli, très-léger et très-gai. On ne sait trop ce que cela signifie en soi ; c’est un souffle, un rire, une fantaisie. On frise à tout moment le mot vif, le mot propre, et on s’arrête à temps. Les refrains et les motifs de ces petites pièces sont à ravir : on y sent le musa ales, l’aile du lutin, un lutin gaulois qui n’est pas Ariel, mais plus libertin et déjà gamin, le lutin de la gaudriole.

Madame Grégoire est une chanson large et franche de la première manière. Béranger n’a rien fait de mieux, comme pure chanson, que le Roi d’Yvetot et Madame Grégoire.

Les Gueux, si vantés, me plaisent moins. Si ce n’est qu’une boutade, à la bonne heure :


Les Gueux, les Gueux,
Sont les gens heureux,
Ils s’aiment entre eux…


Les gueux, en effet, s’aiment-ils mieux que d’autres, et de ce qu’on n’a rien que sa guenille, est-on moins tenté de se la disputer ? Je vois un peu de déclamation dans cette petite pièce et de la faiblesse de pensée :


D’un faste qui vous étonne
L’exil punit plus d’un grand…
D’un palais l’éclat vous frappe,
Mais l’ennui vient y gémir…


L’ennui bâille plutôt qu’il ne gémit. Mais tout est vite racheté et regagné par la gaieté du refrain, et par des couplets comme celui-ci :


Quel Dieu se plaît et s’agite
Sur ce grabat qu’il fleurit ?
C’est l’Amour qui rend visite
A la Pauvreté qui rit.