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CAUSERIES DU LUNDI.

semble parfait ; pas un mot qui ne vienne à point, qui ne rentre dans le rhythme et dans le ton ; c’est poétique c’est naturel et gai ; la rime si heureuse ne fait, en badinant, que tomber d’accord avec la raison.

La Bacchante, pièce célèbre dans cette première manière, et qui vise déjà à l’ode, offre des défauts de style qui ne tiennent pas du tout au désordre de l’égarement ni à la flamme. Je passe les atours, reste de vieux style :

Pourquoi……Pourquoi ces atours
Entre tes baisers et mes charmes ?


Mais le dernier couplet est très-obscur, il l’est par le raisonnement, ce qui n’est pas naturel dans la situation où se trouve la Bacchante. Elle engage son amant à moins boire, à ménager ce nectar qui l’énerve, et elle ajoute :

De mes désirs mal apaisés,
Ingrat, si tu pouvais te plaindre,
J’aurais du moins, pour les éteindre,
Le vin où je les ai puisés.


Comme cela est contourné ! Le sujet étant un peu délicat, je ne m’appesantirai pas sur cette obscurité qui a pu entrer à demi dans l’intention de l’auteur, mais qui, j’en réponds, ne se développe qu’avec peine à l’esprit de plus d’un lecteur. Cependant, pour ne laisser aucun doute dès l’abord sur ce reproche d’obscurité qui reviendrait souvent, je citerai tout de suite, dans un genre opposé, ce couplet de l’Épée de Damoclès, où le poëte s’attaque à Louis XVIII dans la personne de Denys-le-Tyran :

Tu crois du Pinde avoir conquis la gloire,
Quand ses lauriers, de ta foudre encor chaude.
Vont à prix d’or te cacher à l’histoire,
Ou balayer la fange des cachots