Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
255
MAZARIN

même, par Retz, qui, dans une page incomparable, nous fait sentir l’adresse, le bonheur, et, pour ainsi dire, le prestige caché de cette nouvelle grandeur insinuante. Quand Mazarin, pour remettre à la raison les anciens amis de la reine devenus trop importuns et trop importants, et qui revendiquaient le pouvoir comme une dépouille qui leur était due, eut fait arrêter le duc de Beaufort, tout le monde admira, chacun s’inclina. La modération que le cardinal fit paraître le lendemain de cet acte de vigueur, sembla à tous de la clémence. La comparaison qu’on faisait de ce pouvoir tout à coup si ferme, mais non pas terrible, et qui continuait d’être si doux ou même si riant dans l’habitude, avec celui du cardinal de Richelieu, charma pour un temps les esprits et fascina les imaginations. Le cardinal, qui avait encore à gagner, mit toute son habileté à seconder son bonheur. « Enfin, il fit si bien, dit Retz, qu’il se trouva sur la tête de tout le monde, dans le temps que tout le monde croyait l’avoir encore à ses côtés. »

On ne dira pas que je suis insensible aux grâces persuasives de Mazarin ; mais là où je me sépare un peu de M. de Laborde et de ses ingénieuses apologies, c’est dans l’admiration générale du personnage et du caractère. Pourquoi donc se mettre si fort à admirer ces hommes qui ont tant méprisé les autres hommes, et qui ont cru que le plus grand art de les gouverner était uniquement de les duper ? Ne suffit-il pas qu’on reconnaisse leurs mérites et qu’on soit juste envers leur mémoire ? Mazarin fut certainement un grand ministre ; mais je crois que ce fut surtout comme négociateur au dehors, comme celui qui ménagea le traité de Munster et qui conclut la Paix des Pyrénées ; c’est à titre de beau joueur diplomatique qu’il a sa place assurée et véritablement hors d’atteinte. Quant à l’intérieur de la France, à l’administration et