Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
CHESTERFIELD

Chesterfield, dans le cas particulier, insiste tant sur les grâces des manières et sur l’agrément à tout prix, c’est qu’il a déjà pourvu aux parties plus solides de l’éducation, et que son élève n’est pas en danger du tout de pécher par le côté qui rend l’homme respectable, mais bien par celui qui le rend aimable. Quoique plus d’un passage de ces Lettres puisse sembler fort étrange venant d’un père à son fils, l’ensemble est animé d’un véritable esprit de tendresse et de sagesse. Si Horace avait un fils, je me figure qu’il ne lui parlerait guère autrement.

Les Lettres commencent par l’a b c de l’éducation et de l’instruction. Chesterfield enseigne et résume en français à son fils les premiers éléments de la mythologie, de l’histoire. Je ne regrette point qu’on ait publié ces premières lettres ; il s’y glisse de bonne heure d’excellents conseils. Le petit Stanhope n’a pas encore huit ans, que son père lui dresse une petite rhétorique à sa portée, et essaie de lui insinuer le bon langage, la distinction dans la manière de s’exprimer. Il lui recommande surtout l’attention dans tout ce qu’il fait, et il donne à ce mot toute sa valeur. C’est l’attention seule, lui dit-il, qui grave les objets dans la mémoire : « Il n’y a pas au monde de marque plus sûre d’un petit et pauvre esprit que l’inattention. Tout ce qui vaut la peine d’être fait mérite et exige d’être bien fait, et rien ne peut être bien fait sans attention.» Ce précepte, il le répète sans cesse, et il en varie les applications à mesure que son élève grandit et est plus en état d’en comprendre toute l’étendue. Plaisir ou étude, il veut que chaque chose qu’on fait, on la fasse bien, on la fasse tout entière et en son temps, sans se laisser distraire par une autre : « Quand vous lisez Horace, faites attention à la justesse de ses pensées, à l’élégance de sa diction et à la beauté de sa poésie, et ne songez pas au De Homine et Cive de