Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
CAUSERIES DU LUNDI.

l’on vivait entre soi comme dans une bonbonnière. Mais les révélations pour nous n’en sont pas moins intéressantes.

Pendant les deux mois que Mme de Grafigny fut à Cirey, elle passa par des impressions très-diverses. La première quinzaine fut véritablement la lune de miel ; elle admire tout, elle aime tout. Elle s’extasie comme une personne qui a vu peu de choses jusqu’alors. Elle nous décrit en détail la petite aile qu’habitait Voltaire, les tableaux encadrés dans les lambris, les glaces ; « des encoignures de laque admirables ; des porcelaines, des marabouts, une pendule soutenue par des marabouts d’une forme singulière, des choses infinies dans ce goût-là, chères, recherchées, et surtout d’une propreté à baiser le parquet ; une cassette ouverte où il y a une vaisselle d’argent ; tout ce que le superflu, chose si nécessaire, a pu inventer : et quel argent ! quel travail ! Il y a jusqu’à un baguier où il y a douze bagues de pierres gravées, outre deux de diamants. » Puis vient la petite galerie avec les statues, les Vénus, les Cupidons, enfin tout ce que le goût Louis XV peut rassembler dans son luxe et sa perfection. L’auteur du Mondain, on le voit, était d’accord avec lui-même, et donnait raison à ses vers. On a ensuite la description de l’appartement de Mme du Châtelet, tout en jaune et bleu, et du boudoir qui est du dernier galant. C’est là que cette femme singulière, et supérieure bien plus qu’aimable, passait les nuits à l’étude, à approfondir la géométrie et à écrire sur la physique. On a aussi, un jour de faveur, la vue de la chambre des bains et du cabinet de toilette qui y tient, « dont le lambris est vernissé d’un vert céladon clair, gai, divin, sculpté et doré admirablement… Non, il n’y a rien de si joli, s’écrie Mme de Grafigny ; tout ce séjour est délicieux et enchanté. Si j’avais un appartement