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HUET

blement les influences des milieux et des âges. Il avoue lui-même qu’il y a eu du plus et du moins dans sa foi. Quand il fut revêtu d’un caractère sacré, il s’attacha à disposer sa vie dans un parfait accord avec ses nouveaux devoirs. L’âge acheva de mettre le sceau à cette manière honorable de vivre et de sentir. Pourtant, il est certainement l’un de ces hommes à propos de qui il serait permis, à certains jours, de s’adresser cette question : « Qui peut dire et savoir ce qu’arrive à penser, sur toute matière religieuse et sociale, un homme de plus de quarante ans, prudent, et qui vit dans un siècle et dans une société où tout fait une loi de cette prudence ? » Ajoutons que si Huet put avoir dans un temps cette pensée ou porte de derrière, il en usa si peu, qu’elle finit par se condamner d’elle-même et par être en lui comme si elle n’était pas.

Ceux qui aiment surtout les Lettres ne doivent jamais parler de Huet qu’avec un respect mêlé d’affection. Brunck, dans ses notes sur l’Anthologie, le rencontrant sur son passage, l’a salué avec bonheur la fleur des Évêques (fos Episcoporum Huetius). Huet sentait à merveille l’antique poésie ; il y mêlait l’amour de la nature et de la campagne, et il en a plus d’une fois exprimé le sentiment avec charme. Pendant des années il ne laissa jamais passer un mois de mai, qui était son mois favori, sans le fêter et l’égayer d’une nouvelle lecture de Théocrite ; il avait ainsi, même comme érudit, ses à-propos de saison. Retiré l’été dans son abbaye d’Aunay, il y trouvait son Tusculum. Huet, en goûtant la poésie, avait fait de bonne heure une réflexion sur ce que bien peu de gens sont nés, en effet, pour la sentir : « Il y a encore plus de poètes que de vrais juges des poètes et de la poésie. » Il revient souvent sur cette idée, qu’on retrouverait, je crois, également chez Montaigne. Il appréciait