Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
FÉNELON.

avait du moins du ressort, et trahissait en lui le feu sacré. « Les naturels vifs et sensibles, a dit excellemment Fénelon, sont capables de terribles égarements : les passions et la présomption les entraînent ; mais aussi ils ont de grandes ressources et reviennent souvent de loin…, au lieu qu’on n’a aucune prise sur les naturels indolents. » Et cependant voit-on que Bossuet ait fait de près, pour vaincre la paresse de son élève, pour piquer sa sensibilité, ce que Fénelon a fait, dans le second cas, pour dompter et humaniser les violences du sien ? Le premier grand homme a fait son devoir avec ampleur et majesté, selon son habitude, et il a passé outre. Le second a poussé les attentions et les craintes, les soins ingénieux et vigilants, les adresses insinuantes et persuasives, comme s’il y était tenu par les entrailles ; il a eu les tendresses d’une mère.

Pour en revenir au présent volume, je disais donc qu’on y trouve quelques lettres que Fénelon, nouvellement à la Cour, adressait à Mme de Maintenon encore sous le charme. Le ton des Lettres spirituelles de Fénelon est en général délicat, fin, délié, très-agréable pour les esprits doux et féminins, mais un peu mou et entaché de quelque jargon de spiritualité quiétiste ; on y sent trop le voisinage de Mme Guyon. Fénelon aussi y prodigue trop les expressions volontiers enfantines et mignardes telles que saint François de Sales en adressait à sa dévote idéale, à sa Philothée. Parlant de certaines familiarités et de certaines caresses que fait, selon lui, le Père céleste aux âmes redevenues petites et simples, Fénelon, par exemple, dira : « Il faut être enfant ô mon Dieu, et jouer sur vos genoux pour les mériter. » Des théologiens ont cherché querelle à ces expressions et à d’autres pareilles, au point de vue de la doctrine ; un bon goût sévère suffirait pour les proscrire. Et c’est ici