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HUET

vant homme[1], écrivait sérieusement à ce même Huet, à propos d’une ode et d’une épître latines de celui-ci : « C’est dommage que notre Cour ne soit aussi fine dans la bonne latinité que celle d’Auguste, vous y tiendriez la place d’Horace, non-seulement pour le génie lyrique, mais encore pour l’épistolaire ! » Chapelain écrivait cette énormité en mars 1660 ; c’était la date de la première Satire de Boileau.

Huet, enfant, et déjà poète latin, avait terminé à treize ans le cours de ses humanités ; il trouvait un guide poétique encourageant et sûr dans l’aimable M, Halley, professeur de belles-lettres et d’éloquence ; il trouva un maître élevé et profond en philosophie dans le Père Mambrun, qui le poussa d’abord à l’étude des mathématiques, d’où il eut peine ensuite à le rappeler à la philosophie même. Chaque savant personnage que rencontrait le jeune homme sur son chemin (et l’Académie de Caen en réunissait alors un grand nombre) lui devenait ainsi un nouvel instigateur d’étude ; il absorbait avidement chaque source vive qui lui était offerte, et, toujours altéré, il en demandait encore. Le voisinage du savant Bochart, qui était ministre protestant à Caen, poussa le jeune Huet à s’enfoncer à sa suite dans la littérature grecque et hébraïque. Celui qui devait être évêque, apologiste et démonstrateur du Christianisme, et qui, dans le cours de sa vie, devait lire vingt-quatre fois, d’un bout à l’autre, le texte hébreu des Écritures, traduisit d’abord du grec en latin la jolie et très-libre pastorale de Duphnis et Chloé, sans trop se douter, dit-il, qu’il y eût là danger pour son innocence.

À cette époque, d’ailleurs, Huet n’était qu’un homme

  1. « Chapelain, qui, enfin, avait de l’esprit, » dit le cardinal de Retz.