Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
FÉNELON.

sirait encore : « Je voudrais un je ne sais quoi, qui est une facilité à laquelle il est très-difficile d’atteindre. » Prenez nos auteurs célèbres, vous y trouverez la noblesse, l’énergie, l’éloquence, l’élégance, des portions de sublime ; mais ce je ne sais quoi de facile qui se communique à tous les sentiments, à toutes les pensées, et qui gagne jusqu’aux lecteurs, ce facile mêlé de persuasif, vous ne le trouverez guère que chez Fénelon et La Fontaine.

Leur réputation à tous deux (chose remarquable) est allée en grandissant au xviiie siècle, tandis que celle de beaucoup de leurs illustres contemporains semblait diminuer et se voyait contester injustement. Je ne répondrais même pas qu’on n’ait point surfait quelquefois ces deux renommées diversement aimables, mais non pas dissemblables dans des ordres si différents, et qu’on n’ait point mis à les louer de cette exagération et de cette déclamation qui leur étaient si antipathiques à eux-mêmes. Ainsi, on a fort loué Fénelon d’une tolérance de doctrine et presque d’un relâchement qu’il n’avait certainement pas. Les philosophes l’ont tiré à eux comme s’il était l’un des leurs, et il a trouvé grâce devant ceux mêmes qui voulaient écraser ce qu’il adorait. Mais le dirai-je ? malgré toutes les justes remarques qui peuvent s’opposer à cette fausse vue philosophique qu’on a voulu donner de Fénelon, il y avait un instinct qui ne trompait pas entièrement ceux qui le traitaient avec cette faveur toute particulière ; car si ce n’est pas la doctrine de Fénelon qu’on peut dire tolérante, c’est sa personne et son caractère qui l’était, et il savait mettre en chaque chose un ton, un tour de grâce, une onction qui faisait tout passer, même les prescriptions rigoureuses.

J’en trouve quelques-unes qui pourraient paraître telles, dans le volume même que je viens de lire, et qui