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M. JULES JANIN.

s’entendre avec Mme  de Maintenon, avec la fondatrice de Saint-Cyr, et que si, née plus tard, elle s’était appuyée de ce côté, elle aurait trouvé un ordre d’idées plus en accord avec ses inclinations, sans aller se heurter contre l’écueil où elle a péri. Elle n’aurait pas été languir et mourir dix-huit ans dans l’exil, comme tant de souverains dépossédés, elle qui avait passé ses belles années à se créer une petite principauté et un petit trône.

Maintenant, je n’entrerai pas dans le récit du roman de M. Janin ; tout le monde le voudra lire, et mon analyse serait superflue. Il a très-bien senti et mis en relief les principaux traits du caractère de Mme  de Mondonville ; mais il n’a pas d’ailleurs visé à restituer, d’après les faits historiques connus, les autres circonstances qui seraient plus ou moins vraisemblables. Il a pris ces noms et ce cadre de l’Institut de l’Enfance comme un simple prétexte et un canevas à ses vives études et à ses goûts du moment ; il a voulu tracer, comme il dit, « un capricieux tableau d’histoire. » J’ai tant de respect, je l’avoue, pour tout ce qu’on peut savoir de vérité historique, que j’aurais préféré un récit tout simple, tout nu, de ce qu’on sait sur cette Congrégation de l’Enfance, ou du moins un récit dans lequel les circonstances inventées n’eussent paru jurer en rien avec les faits d’autre part avérés et établis. Par exemple, pour ne citer qu’un trait, il m’est impossible d’admettre, avec le romancier, que M. Arnauld bénisse à Utrecht le mariage de Mlle  de Prohenques, cette Fille de l’Enfance qui s’était enfuie par escalade, quand je lis dans un Écrit d’Arnauld lui-même qu’il ne parle d’elle que comme d’une fille apostate, et de l’homme qu’elle épouse que comme d’un grand débauché : « On voit assez, dit le sévère Docteur, que Dieu, qui tire le bien du mal, n’a permis qu’elle soit tombée dans des désordres si scandaleux et