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pas sa grandeur, a dit Pascal, pour être en une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois et remplissant tout l’entre-deux. » M. de Montalembert n’est plus tout entier à une extrémité ; il a montré qu’il savait embrasser des points opposés et marcher, lui aussi, dans l’entre-deux. Il a fait place, dans son esprit, à un certain contraire. Quelles que soient les convictions profondes du dedans, c’est là un grand pas de fait pour la vérité pratique et applicable. Le vrai talent non plus n’a point à se repentir de ces contrariétés qu’il s’impose. L’énergie gagne par la prudence ; l’éloquence plus mûre n’y perd pas, et elle donne désormais la main à la politique, qui n’est autre, le plus souvent, qu’une transaction. Depuis ses derniers discours, qui sont aussi les plus éloquents, M. de Montalembert en a fait l’épreuve ; il a mérité cet éloge, que M. Berryer lui donnait en le félicitant : « Vous êtes un esprit non absolu, mais résolu. » Généreux éloge que nous le supplions de justifier de plus en plus et toujours.

M. de Montalembert a commencé de bonne heure et presque adolescent à se produire par la parole. Sa longue jeunesse, à laquelle on est accoutumé depuis dix-huit ans, n’est pas close encore ; né en 1810, il n’a que trente-neuf ans. Jamais il n’y eut jeunesse ni adolescence plus écoutée. Une circonstance singulière le mit en vue dès 1831. Disciple alors de M. de Lamennais et rédacteur très-actif du journal l’Avenir, il y faisait ses premières armes en réclamant, au nom de la Charte, cette entière liberté d’enseignement qu’il n’a cessé de revendiquer depuis. Pour mieux constater le droit, il ouvrit une école gratuite avec deux de ses amis, M. de Coux et l’abbé Lacordaire. L’école ne fut ouverte que deux jours ; le commissaire de police vint la fermer, et les trois maîtres d’école (comme ils s’intitulaient) se vi-