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on n’était pas accoutumé de résister. Mme Récamier nous demandait d’être gracieux, et, en vous le demandant, elle vous prêtait de sa grâce. Mais aujourd’hui, après seize années révolues, lorsque nous relisons l’ouvrage imprimé dans toute sa suite, en nous dégageant de tout souvenir complaisant et en nous interrogeant en toute liberté, que pensons-nous ?

Ce que je pense ? L’année dernière, pendant un séjour que j’ai fait hors de France dans un pays hospitalier, je me suis posé à loisir cette question par rapport non pas seulement aux Mémoires, mais à M. de Chateaubriand lui-même. N’étant lié envers sa haute renommée par d’autre sentiment que celui d’un respect et d’une admiration qu’un libre examen a droit de mesurer, j’ai étudié en lui l’homme et l’écrivain avec détail, avec lenteur, et il en est résulté tout un livre que j’aurais déjà mis en état de paraître, si je ne causais ici beaucoup trop souvent. Je me bornerai en ce moment à donner mon impression finale sur les Mémoires.

La vérité est qu’ils ont très-peu réussi, aussi peu réussi que possible, et qu’ils ont causé un immense désappointement. On en avait tant parlé à l’avance, on en avait tellement célébré les parties charmantes, tellement voilé les faiblesses ou les rudesses disgracieuses, que le public savait les unes et n’a été que plus vivement choqué des autres. Cette publication morcelée, tombant en plein carrefour au lendemain d’une révolution, et dans des conditions si différentes de celles où elle s’était de longue main préparée avec mystère, eut lieu bientôt en concurrence d’une autre publication du même genre, les Confidences de M. de Lamartine, dans lesquelles les qualités, les défauts même avaient la séduction d’une plus jeune, plus fraîche, et toujours facile et coulante manière. Et puis, si l’on va au fond, le public n’a pas