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ces mots : « Dites-moi pourquoi, détestant la vie, je redoute la mort… » et qui finit par ces mots : « J’avoue qu’un rêve vaudrait mieux. » Un critique anglais, au moment où les Lettres parurent à Londres, remarquait avec justesse que Mme  Du Deffand semble avoir combiné dans la trempe de son esprit quelque chose des qualités des deux nations, le tour d’agrément et la légèreté de l’une avec la hardiesse et le jugement vigoureux de l’autre.

Ce qu’elle avait aimé tout d’abord dans Walpole, c’était sa liberté de penser et de juger. Elle aimait le vrai avant tout, et qu’on fut bien soi-même. Le goût de son temps l’excédait : « Ce qu’on appelle aujourd’hui éloquence m’est devenu si odieux, que j’y préférerais le langage des halles ; à force de rechercher l’esprit, on l’étouffe. » Ses jugements littéraires, qui durent paraître d’une excessive sévérité dans le moment, se trouvent presque tous confirmés aujourd’hui. « Ce Saint-Lambert, dit-elle, est un esprit froid, fade et faux ; il croit regorger d’idées, et c’est la stérilité même. » Ce qu’elle dit là de Saint-Lambert, elle le disait, sauf variantes, de bien d’autres. Comme elle choisit dans Voltaire ! comme elle distingue en lui le bon à travers le médiocre, ce qui est de source d’avec le rabâchage ! Elle fait de même chez Jean-Jacques : « Ne sachant que lire, j’ai repris l’Héloïse de Rousseau ; il y a des endroits fort bons, mais ils sont noyés dans un océan d’éloquence verbiageuse. » Sur Racine, sur Corneille, elle a des jugements sains et droits. Il n’y a qu’un seul ouvrage qu’elle voudrait avoir fait, un seul, parce qu’il lui paraît, à tous égards, avoir atteint la perfection, et cet ouvrage est Athalie. On a dit d’elle qu’en fait de lectures, elle ne s’était jamais rien refusé que le nécessaire. C’est un mot spirituel, mais léger. Sans doute elle n’avait pas eu de fonds de