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il ressemble bien plus qu’à Massillon, c’est Garat, le beau diseur en toute matière, Garat, l’orateur académique et le professeur d’idéologie à l’Athénée. Ce qui était du Massillon à la fin du xviie siècle est du Garat au commencement du xixe.

Le 26 octobre 1819, pendant la séance que le Conseil général des prisons tenait au ministère de l’intérieur, M. Decazes fit passer à Pariset un petit billet où il avait écrit : « Vous serait-il agréable d’aller à Cadix observer la fièvre jaune ? » Après un très-court instant de réflexion, Pariset répondit : « Oui, certainement, monseigneur. » Et c’est ainsi qu’il se trouva lancé dans ses divers voyages, d’abord à Cadix, puis à Barcelone, puis finalement en Orient, et engagé, par suite, dans cette polémique qui fit tant de bruit, sur la question de contagion. Il avait son parti pris avant de quitter Paris, il croyait à la contagion ; et, dans le récit qu’il a publié de son premier voyage, il a naïvement raconté comment, à peine arrivé à Madrid, il en était déjà à rêver tout un vaste système de lazarets, qui aurait embrassé de son réseau toute l’Europe. Ce premier voyage à Cadix eut cela de piquant, que Pariset et son compagnon de route n’arrivèrent dans cette ville que le jour même où expirait le fléau, et presque au bruit des cloches qui sonnaient le Te Deum de délivrance. Pariset ne put voir qu’un petit nombre de cas affaiblis et qui tendaient à la convalescence. Il n’assista qu’à deux ouvertures de corps : « Jamais, dit-il, l’impression que fit sur moi la vue des deux cadavres ne s’effacera de mon esprit. De loin, sur les épaules des infirmiers qui les apportaient à l’amphithéâtre, ils montraient le squallentem barbam et le concretos sanguine crines de Virgile ; mais ce qu’on ne saurait peindre, ce sont ces visages gonflés comme après la strangulation… » Et il continue de décrire les