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s’épancher sans contrainte, et qui soient dignes de cultiver avec vous la philosophie et de rendre honneur à la vérité. Pour le reste des hommes, ne leur ouvrez jamais votre cœur… » Notez que celui qui donne ce conseil était le plus expansif des hommes, le cœur qui, jusqu’à la fin, devait être le moins fermé. Il semblait croire pourtant que l’avenir, un avenir très-lointain, réparerait pour l’humanité tous les maux du présent ; il combinait dans une certaine mesure le désabusement et la chimère. Il continuait pour lui-même de former je ne sais quels projets dont il croyait le succès infaillible, et dont il se réservait de confier le secret à son ami. « Jusque-là, ajoutait-il, je n’ai qu’un vœu, c’est de passer une bonne huitaine dans la retraite avec vous, et de m’enivrer des délices de l’amitié et des Lettres. Je compte que votre écrit sur La Rochefoucauld (Fauriel faisait alors une Étude sur ce moraliste) sera terminé. Me mettrez-vous dans la confidence avant le public ? Allez, allez, cet homme a tout vu dans le cœur de l’homme. On y a peut-être fait jouer d’autres ressorts autrefois, il y a bien longtemps ; mais les peuples modernes seront plus longtemps encore comme il les a peints. C’est un vilain tableau d’un vilain modèle, mais il y a de la vérité. » Ainsi parlait de La Rochefoucauld, l’homme qui devait composer tant d’Éloges et se montrer le plus abondant des panégyristes.

Pourtant Pariset, à cette date, n’était point encore médecin. Ce ne fut que deux ans après, vers 1805, qu’il se fit recevoir docteur à l’âge de trente-cinq ans. On comprend déjà qu’il ne sera jamais un grand praticien. Il appartenait à cette école de médecins gens d’esprit et littérateurs, qui peuvent disserter des choses avec plus ou moins d’éloquence et d’agrément, qui obtiennent de la faveur auprès des gens du monde, mais qui n’acquièrent jamais beaucoup d’autorité parmi leurs